Le domaine oriental est devenu peu à peu spécifique depuis le début du XIXe siècle. Ses misères lui appartiennent comme ses splendeurs, ses façons... > Lire la suite
Le domaine oriental est devenu peu à peu spécifique depuis le début du XIXe siècle. Ses misères lui appartiennent comme ses splendeurs, ses façons d'être hostile à l'étranger et violent vis-à-vis de l'ennemi comme d'accueillir le visiteur ou de recevoir l'hôte sont uniques. On n'y connaît point l'art de peindre mais celui de bâtir et d'enjoliver. Le roman y est moins pratiqué que le conte. Les hommes s'y montrent ombrageux et les femmes se cachent... Ainsi se sont élaborées les multiples catégories de la double différenciation : essentielle et fonctionnelle, avec son système du sérail, sa structure sultanale et son organisation hiérarchisée et communautaire... Dans ce contexte, il n'est pas extraordinaire que le voyage en Orient ait participé des mêmes visions. D'autant qu'à l'extériorité s'est ajouté l'exotisme. Avec des effets pervers, notamment de faire passer l'Orient du statut d'objectif à celui d'objet. Explorateurs, découvreurs, "traverseurs" ont d'abord ramené plans, notes, relations et récits, destinés à éclaircir ou amuser ceux qui n'avaient pu se déplacer. Aux transports, en vue de descriptions et d'études, ont ensuite succédé les déplacements, les croisières, les traversées, les visites de lieux où l'éloignement, le dépaysement, le délassement, tenaient une part grandissante. Le voyageur s'est plus préoccupé de satisfaire son plaisir et de préparer son trajet que des pays visités, des gens rencontrés. Carnets et souvenirs se sont fait plus légers. L'auteur du voyage préoccupé de lui-même plus que de ce qu'il trouvait sur son chemin, est devenu transitaire, passager, avant de s'imposer comme touriste. Voyager en Orient, à notre époque, n'est plus explorer pour découvrir, mais passer pour voir, avoir vu en réalité. Et passer vite : plus question de remonter le Nil à la voile, en dahabiyah ou en felouque, jusqu'à Assouan ; de là, Abu Simbel se visite entre deux avions, en une heure de temps. L'Orient, on s'y rend moins qu'on en revient.