Elle est nue. Elle ne doit pas avoir plus de quarante ans. Mince, la peau cuivrée, de longs cheveux blonds. Elle est nue et elle court dans la neige,... > Lire la suite
Elle est nue. Elle ne doit pas avoir plus de quarante ans. Mince, la peau cuivrée, de longs cheveux blonds. Elle est nue et elle court dans la neige, plonge dans les lacs, grimpe sur les corniches des hautes falaises calcaires. Pendant plusieurs années, au début du XIXe siècle, des paysans, des bergers, des voituriers des vallées montagneuses du Vicdessos en Ariège, aux frontières de l'Andorre et de l'Espagne, ont aperçu, sur les pentes d'altitude, « la femme sauvage ». Certains affirment même l'avoir vue se déplacer en compagnie de familles d'ours bruns. « Ce ne peut être qu'une folle. » Alors, on la laisse courir. Et puis, comment l'attraper ? Son territoire est le plus souvent inaccessible. Quand, parfois, en hiver, elle quitte son désert de rochers et descend vers les granges, c'est pour chaparder une paire de poulets. Sans y croire, on suit ses traces, qui se perdent dans les torrents glacés. Mais elles vont toujours en direction des sommets. Comment peut-elle survivre, sans nourriture, sans vêtements, sans feu, alors qu'il n'est pas rare qu'à pareille altitude la température descende à moins vingt ou moins trente ? Un jour, dans le village d'Orus, la source ne coule plus. « C'est la folle ; elle est devenue sorcière ! » D'autres villages la rendent responsable de la mauvaise récolte, des maladies des troupeaux. « Qu'on l'arrête et tout rentrera dans l'ordre ! » Au printemps, la Garde Nationale se lance à sa poursuite. Il lui faudra deux jours pour la capturer. Deux jours de course, de cris, de coups de feu, d'embuscades. On l'habille de force, on la nourrit, on l'attache sur un lit du presbytère de Suc. Le lendemain matin, elle a disparu. La femme sauvage est retournée à ses montagnes, à ses amis les ours qui la protègent du froid - c'est ce qu'elle a dit à Monsieur le Curé. L'année suivante, toujours au printemps, une nouvelle chasse est organisée. Capturée, on la conduit à la préfecture de Foix. Après quelques jours de soins à l'hospice, elle s'évade à nouveau. Une véritable expédition est alors montée pour l'empêcher d'atteindre le Vicdessos. Sur les hauteurs de Tarascon, deux hommes, cachés dans une faille, s'emparent d'elle. Jamais plus la femme sauvage ne reverra ses montagnes ni ses amis les ours. Qui était cette femme nue ? Pourquoi vivait-elle en naufragée des montagnes ? Christian Bernadac tente de répondre à ces questions. Mais surtout, grâce aux documents de l'époque et à la tradition orale, il nous raconte ce fait divers exceptionnel qui allait donner naissance à une impressionnante littérature.
Christian Bernadac a publié - aux éditions Michel Lafon - « Les médecins maudits », « La libération des camps », « Les victorieux », « Train 7 909 destination Dachau », et un roman : « Nadal, l'homme à la licorne ».