Aujourd'hui, parce que je sais que ma mère ne viendra pas, toutes les voix me semblent étrangères absolument, je n'éprouve plus que la distance qui... > Lire la suite
Aujourd'hui, parce que je sais que ma mère ne viendra pas, toutes les voix me semblent étrangères absolument, je n'éprouve plus que la distance qui m'en sépare, comme si c'était moins elles-mêmes que je percevais que, à travers elles, l'absence de cette seule voix qui m'avait importé.
Il y eut ici un récit. Ne subsistent plus que des notes en bas de page, dont les renvois invitent le lecteur, d'une part à imaginer ce qu'était - ou ce qu'aurait pu être - ce texte et, de l'autre, à s'interroger sur les raisons de cette inexplicable disparition.
Peu à peu, se reconstitue la figure du personnage principal de ce roman, sans que le lecteur puisse très bien distinguer d'ailleurs, si ce n'est pas son propre reflet qu'il vient à l'instant de surprendre dans le miroir d'une de ces pages.
Le récit effacé n'est pas un jeu de pure forme ; dans ce silence, c'est un drame qui se joue : celui d'un homme qui, privé de mémoire, et après en être resté littéralement interdit, longtemps sans voix, lutte contre l'oubli, « la tête renversée dans les ténèbres ». Ce n'est qu'en découvrant la vérité, pour lui, de la langue de ses pères, le yiddish qui a bercé son enfance, et dont pourtant il ne sait rien, qu'il pourra reprendre la parole, écrire, et reconquérir ainsi tout l'espace de la page. Retrouver, dans une langue passée, ce qui reste d'un homme, telle est l'aventure de ce roman.
Ce livre est un événement ; à travers sa composition insolite, il met pour la première fois en scène quelque chose qui n'a jamais eu lieu.