Ce livre traite de l'histoire de patrie à travers les siècles.
Qu'est-ce alors qu'une patrie ? Tout d'abord elle est une religion, une foi. Et chez les Hébreux, dans l'antiquité égyptienne, grecque et romaine, ailleurs encore, le mot n'est nullement pris au figuré : elle est alors la religion, ou du moins se trouve étroitement liée à celle-ci. Terra patria, la terre des pères, la terre des ancêtres est la partie du sol divinisée par la religion de la famille et celle de la Cité qui groupe dans son enceinte un certain nombre de familles unies par un faisceau de croyances, d'aspirations, de volontés communes.
Le terrain au milieu duquel surgissent le foyer domestique et le tombeau des ancêtres, figure la petite patrie ; le prytanée, ses héros, la ville, son territoire consacré par la religion, voilà la grande patrie. Les dieux du citoyen semblent en quelque sorte la substance même de la patrie, formés à son image, nés des entrailles du sol, ses protecteurs éponymes ; ce sont des dieux locaux, exclusifs, ombrageux, sensibles aux hommages, aux sacrifices, durs à l'étranger qui n'a dans la cité aucun droit, tandis que leurs serviteurs sont des élus qui trouvent en eux biens, sécurité, dignités, privilèges civils et politiques.
Sont-ils exilés, ceux-ci perdent tout : frappés d'excommunication, ils ne peuvent plus participer aux cérémonies religieuses ; le feu des sacrifices, l'eau lustrale, leur sont interdits, ainsi que la fréquentation des autres citoyens ; presque toujours, leurs propriétés sont confisquées au profit des dieux ou de la Cité. Tragiques, prosateurs grecs et romains, ont décrit l'horreur sacrée qu'inspirait une telle peine.
« On voit par-là, remarque Fustel de Coulanges, quelle singulière idée les anciens se faisaient des dieux.
Ils furent très longtemps sans concevoir la Divinité comme une puissance suprême. Chaque famille eut sa religion domestique, chaque cité sa religion nationale. Une ville était comme une petite Eglise complète, qui avait ses dieux, ses dogmes et son culte. »
« C'est la patrie qui nous enfante, qui nous nourrit, qui nous élève, » dit Platon. S'il a tout par elle, le citoyen lui doit ce qu'il a de plus précieux, sa vie ; et c'est en toute vérité qu'il combat pour ses autels, pour ses foyers, afin que l'ennemi ne les renverse pas, ne profane point ses tombeaux, ne chasse pas ses dieux.
« L'amour de la patrie, c'est la piété des anciens. »