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En 1848, la constitution que Charles-Albert octroie à ses états modifie en profondeur la vie politique du duché de Savoie, qui relève alors du royaume de Piémont-Sardaigne. Les libertés fondamentales entrent immédiatement en vigueur : la presse, les associations, les élections, autant d'éléments totalement inédits pour une population jusqu'alors soumise à l'ordre du Buon Governo, régime au diapason de l'Europe des restaurations. Les habitants de la Savoie vont vivre intensément les virtualités libérales dans une période où s'impose le sentiment de nationalité, ressenti de manière originale dans cette région frontière. L'entrée dans l'ère des libertés constitutionnelles est marquée par la floraison de troubles divers. à bien des égards, ils paraissent d'abord relever de motivations traditionnelles et revêtir les formes éprouvées de la contestation « populaire ». Néanmoins, la plupart d'entre eux voient surgir l'usage d'un lexique et de symboles proscrits jusque-là, qui témoignent de l'envahissement des référents politiques. Les représentants de l'autorité les ont jugés : les uns y voyaient l'échauffement de populations immatures, agacées par l'air du temps, mais sans lien avec le désordre politique ; les autres, au nom de cette même immaturité, y voyaient l'action souterraine et manipulatrice des « démagogues », c'est-à-dire le substrat d'une révolution. Dans les deux cas, l'ordre social paraissait fragilisé. Le présent ouvrage se propose de rétablir les cohérences à l'ouvre dans ces troubles. En saisir l'essence nécessite de se dépouiller des a priori des autorités et des élites qui ont filtré les événements dont elles nous ont transmis la trace. Il convient de revenir aux mots et aux gestes des acteurs afin de tâcher de restituer leurs mobiles, leurs stratégies et leurs desseins. Il s'agit donc de s'interroger sur le processus de politisation : son cheminement, ses modalités et, avant tout, sa nature et sa profondeur. Dans ces agitations, enracinées dans des micro-conjonctures et des enjeux locaux, retentissent les échos des réformes libérales, des guerres de libération menées par le Piémont-Sardaigne et des révolutions. Il existe donc un lien entre ces échelles de la réalité, entre le local, le national et l'international. Il en résulte des troubles de nature complexe : ni tout à fait « traditionnels », ni tout à fait politiques. L'analyse de faits souvent obscurs au premier abord révèle la circulation de repères politiques ambivalents. Ces agitations, qui perdurent au-delà de l'année 1848, témoignent pour l'existence d'un « long Printemps des peuples de Savoie ».