Chaque fois qu'un monde meurt et qu'un autre tarde à naître, l'on voit surgir, sporadiquement, l'espace d'un entretemps, des signes que seuls certains... > Lire la suite
Chaque fois qu'un monde meurt et qu'un autre tarde à naître, l'on voit surgir, sporadiquement, l'espace d'un entretemps, des signes que seuls certains écrivains semblent avoir enregistrés, eux qui ont vu, avec l'éclipse du monde ancien, se disloquer leur propre monde. À travers leur propre histoire, c'est aussi le récit des origines de leur nation qu'ils veulent retracer, mais la mutation des temps, lentement et brusquement, effondre le sol sous eux. Se tenant sur la précaire ligne de fracture, ils tentent en vain de restaurer le monde qu'ils ont perdu, projetant dans le passé un enclos stable, calfeutré et sans failles, jeu d'illusion et de bascule entre la conservation d'une mémoire et l'attente convulsive des derniers jours. C'est ainsi que les émigrants puritains, laissant derrière eux les clochers de Cambridge, sont partis outre-Atlantique établir la plantation du Seigneur (on verra ce qu'Henry Adams en fera) ; qu'à Chicago, dans le Middle-West amorphe, des échos vont répondre à la geste impériale déployée, autrefois, depuis léna (Bellow, pas très loin de Rilke). Ainsi certains auront-ils largué leurs amarres, alors qu'en d'autres temps, d'autres lieux, l'écroulement, le dépaysement se sera fait sur place : à Vienne (Hofmannsthal), ou en Irlande (Yeats et Synge), bastion monolithique à l'ancre dans une très vieille mémoire.