L'émotion liée aux lieux est singulière par sa force, par sa manière d'envahir, de submerger ; elle n'est pas passagère, elle dure et arrête le... > Lire la suite
L'émotion liée aux lieux est singulière par sa force, par sa manière d'envahir, de submerger ; elle n'est pas passagère, elle dure et arrête le pas du promeneur aussi sûrement que l'obstacle sur le chemin. Elle oblige à la pause. À réfléchir. À faire corps. Elle ne ressemble à aucune des émotions de la vie quotidienne, même si elle n'est pas étrangère au saisissement esthétique, à l'engouement, au trouble mystique ou à l'intuition politique, voire à la nostalgie, au repli sur soi ou au dépit romantique.
Cette émotion a peu à voir avec le paysage, le site ou même la conscience du territoire. Ses racines sont plutôt à chercher dans la permanence du lieu, dans son immobilisme face au temps qui passe. Mais il faut aussi que quelque événement inouï ait eu lieu dans ce paysage. Il faut pouvoir se dire « ça s'est passé là ». Là où je suis maintenant. Devant ce muret de pierres, sur ce chemin de ronde, dans cette pièce décrépite. « Ça s'est passé là » est le sésame. Ensuite, il suffit de se convaincre que le jour faiblissait avec les mêmes couleurs, que le bruissement du ruisseau emplissait pareillement la campagne, que le soleil mordait tout autant la clairière, que la façade du château s'ouvrait sur la même rue...