J'admire avec quel art Suzy Morel a reconstitué les enchaînements du rêve et libéré le temps. Et quelle justesse dans toutes les notations ! On habite... > Lire la suite
J'admire avec quel art Suzy Morel a reconstitué les enchaînements du rêve et libéré le temps. Et quelle justesse dans toutes les notations ! On habite vraiment son enfant-cavalier. Adulte, on passe son temps à rencontrer son enfance, à buter contre elle, à y achopper ou bien à s'y accrocher, à y chercher mentalement refuge. Mais supposons le contraire ; imaginons que l'enfant, par une inversion miraculeuse du temps, rencontre l'adulte qu'il est devenu. Simple jeu de l'esprit ? Non. Il s'agit là de la seule confrontation sur laquelle le procès d'une vie puisse valablement se fonder. On se place toujours du côté de la défense ; on plaide, face à un tribunal dont on interprète favorablement le silence, dont on semble avoir oublié la rigueur. Littérature, n'est-ce pas, que la pureté, l'exigence, l'idéalisme de l'enfance ! Depuis, on n'a pas tellement trahi, pas tellement échoué... Dans le livre de Suzy Morel, on est, pour une fois, du côté du juge. Il a quatre ans, cinq ans, l'âge où l'on ne plaisante pas avec le rêve ni avec les sentiments, où l'on croit que cheval vole et que l'amour maternel suffit à tout. À partir de ces articles de foi et de ceux qu'ils engendrent, il aurait été possible de construire une existence merveilleuse. En vérité, à voir ce qui arrivait aux adultes, autour de soi, on n'en était déjà plus très sûr. On a même, découragé d'avance, essayé de se retirer de la partie. Et puis, on a fini par vivre... Mais, vivre est-ce bien le mot ? Il semble que l'enfant qui passe ici, ivre de sa course imaginaire, au galop de son cheval, à travers une forêt illuminée de givre, en a emporté avec lui tout le sens. Pierre Gascar