Curieux des choses, avide de couleurs et de formes, ému par la grâce des arbres, ou troublé par la force des ponts, désespérant de savoir saisir la violence de l'eau et la douceur des vents, Joris Ivens, depuis quatre-vingts ans, court le monde. Mais, plus que la beauté du monde, c'est la singularité des hommes qu'il s'est acharné à saisir dans l'objectif de sa caméra, aux quatre coins du siècle, aux quatre coins du globe.
Voyeur ou voyant ? Chaque fois que des femmes ou des hommes ont refusé de subir l'humiliation, et se sont dressés pour renverser le cours de leur destin, Joris Ivens était là. Il ne suffit pas d'énumérer les étapes de sa vie, la Hollande, l'Allemagne, la France, la Russie, la Belgique, l'Amérique, l'Espagne, la Chine, Hollywood, l'Indonésie, la Tchécoslovaquie, la Pologne, à nouveau la France, où il s'installe dans les années cinquante, puis Cuba, le Viêt Nam, la Chine - encore et toujours la Chine.
Il faut aussi dire les rencontres innombrables, les Surréalistes, les Anarchistes, les Communistes, Poudovkine et John Ford, Eisenstein et King Vidor, Dos Passos et Hemingway, Roosevelt, Chiang Kaï-Shek, Castro, Hô Chi Minh, Zhou Enlai, et tant d'autres. Dans ce livre, Joris Ivens nous raconte son extraordinaire vie, mais il montre aussi que - pareil au « Hollandais volant » (ce marin de légende qui traverse les siècles et les océans à la recherche de l'amour vrai qui lui donnera la paix) - il n'a cessé, depuis quatre-vingts ans, de chercher - sans désemparer ni désespérer - la morale de notre histoire, cette histoire de sang, de souffrance et d'horreur, dont il a toujours voulu être l'inexcusable témoin.