Alexandre Dumas (1802-1870)
"C'est l'histoire du piqueur d'un boyard, dernier représentant peut-être des vieilles mours moscovites du temps de Pierre... > Lire la suite
Alexandre Dumas (1802-1870)
"C'est l'histoire du piqueur d'un boyard, dernier représentant peut-être des vieilles mours moscovites du temps de Pierre le Grand et de Biren, que je vais vous raconter.
Il est vrai que, dans mon récit, il sera un peu plus question du maître et de la maîtresse que du valet, et que mon histoire pourrait aussi bien s'appeler la Princesse Varvara, ou le Prince Groubenski que Jacquot sans Oreilles ; mais, que voulez-vous ! dans une époque où l'on s'occupe d'abord de chercher le titre d'un roman ou d'un drame avant d'en chercher le sujet, et où la meilleure partie d'un succès est dans le titre, Jacquot sans Oreilles me paraît renfermer tout ce qu'il faut d'originalité pour éveiller la curiosité de mes lecteurs.
Je m'en tiendrai donc à Jacquot sans Oreilles.
J'avais bien souvent entendu parler, à Saint-Pétersbourg, à Moscou et surtout à Nijni-Novgorod, du prince Alexis-Ivanovitch Groubenski ; on citait de lui des excentricités les plus incroyables ; mais ces excentricités, qui eussent accusé l'humeur anglaise la mieux développée, étaient, même dans leur côté bouffon, obscurcies par je ne sais quel nuage sinistre planant sur cette existence étrange ; on sentait que, quoique à moitié effacée par le temps et par les efforts de ceux qui avaient intérêt à la faire disparaître tout à fait, il existait sur la vie du dernier des boyards, comme on l'appelait généralement dans le gouvernement de Nijni-Novgorod, une de ces taches d'un rouge sombre qui, pareilles à celles que l'on montre sur le parquet de la galerie aux Cerfs de Fontainebleau et du cabinet royal à Blois, dénoncent le sang versé.
Partout, on m'avait dit :
- Si, par hasard, vous vous arrêtez à Makarief, n'oubliez pas de visiter, en face du couvent, de l'autre côté de la Volga, les ruines du château de Groubenski. Surtout, ajoutait-on, n'oubliez pas de demander à voir la galerie des portraits."
Le narrateur nous conte l'histoire du prince Groubenski, d'après les souvenirs de son fidèle serviteur Jacquot sans oreilles : un prince riche, fou et cruel... Mais quel est son horrible secret ?