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Penseur de la réforme de l'islam, c'est en inscrivant sa réflexion dans la philosophie moderne et contemporaine (Descartes, Nietzsche, Bergson...) et en la confrontant aux révolutions scientifiques que Muhammad Iqbal (1877-1938) a posé la nécessité de penser les conditions d'une modernité des sociétés musulmanes. Il y a de ces « modernismes » passagers, qui essaient d'adapter une tradition séculaire à la mode d'un jour. Ceux-ci se créent dans un présent immédiat, auquel ils ont donc du mal à survivre. Il y en a d'autres qui commencent avec un grand détour, un retour aux sources, afin de découvrir comment être vraiment fidèle à celles-ci dans une situation historique inédite. La pensée d'Iqbal est de cette dernière trempe, en fait une réalisation rare et puissante du genre. En traçant son itinéraire, il parvient à mettre dans un échange mutuel fructueux des penseurs et des textes fort éloignés les uns des autres : Nietzsche et Bergson, Halladj et Rûmî, ceux-là et d'autres encore pris dans une relecture du Coran. On a donc encore besoin de lire Iqbal, chacun à sa façon. Par exemple, nous - lecteurs hier de Bergson, aujourd'hui de Heidegger - qui cherchons une compréhension du temps vécu, de l'historicité, au-delà de la fixation objective, spatialisée du temps cosmique, nous aurons intérêt à revoir cela à la lumière de la relecture que fait Iqbal de la conception coranique de « destinée ». De même, lecteurs de Nietzsche, nous profiterons de la réception iqbalienne du surhomme, dans la foulée de l'« homme parfait » de la tradition soufie. Charles Taylor.