Il fut soir, il fut matin. Je veux faire aimer et comprendre les juifs

Ce livre est un attelage à deux chevaux : un percheron et un étalon pur-sang. L'un tire en amont vers l'attachement viscéral et les prairies endiamantées de France. L'autre part crinière au vent, enjambe montagnes et précipices pour tirer la charrette d'un devenir meilleur. L'auteur hérite sans conviction d'un patrimoine qu'elle ne revendiquait pas : Israël sort des limbes d'une longue parturition, la semence a germé sur les sédiments du passé, sur les éboulis de la Shoah.
Son éclosion donne naissance à ce pays de contrastes et de cicatrices laminé par les épreuves, engendre cette société ardente, généreuse, pétrie de valeurs humaines qui ont forgé le monde, stoïque devant les défis auxquels elle est confrontée, " fière sans provocation ", et corsetée dans des principes ataviques incontournables. La prospection de ce gisement fécond est une aventure âpre et passionnée, où les récits de rescapés du génocide, Tcharny nu dans l'enfer de Treblinka, Shoshana conduite vers les fosses d'abattoir, qui se hisse sur le cadavre de la vieille et saute du camion en marche, resteront gravés dans notre mémoire. Une sensualité chamelle traverse ce livre de femme : " J'ai besoin de sentir cogner la tête de ce nourrisson en train de naître, son pouls, ses ruades.
J'ai besoin d'être là dans le tumulte de cette gestation difficile, dans les fibrillations anarchiques de ce commencement du monde. Au-dessus de cette poitrine béante, quand les chirurgiens ont incisé la poitrine, écartelé les côtes, que les assistants épongent les filets de sang et qu'on découvre sous la chair au milieu des organes, deux vaillants ventricules de muscle qui tressaillent, palpitent, soufflent, souffrent.
" (p. 146)