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« L'empereur dicte des ordres à ses capitaines, le pape adresse des bulles à la chrétienneté, et le fou écrit un livre », lit-on à la fin de Gaspard de la Nuit : la folie d'Aloysius Bertrand fut peut-être de consacrer sa vie à cette unique ouvre - il est mort en 1841 sans même avoir la certitude qu'elle paraîtrait un jour. Il n'est, pourtant, de meilleure invitation au voyage que ce recueil de poèmes, qui dans une langue abondant d'archaïsmes nous promène du Dijon médiéval à la foire de Salamanque, des campagnes flamandes aux ruelles fantastiques et gothiques du vieux Paris. On explore la nuit et ses énigmes, on pénètre un univers occulte, tissé de proverbes, de romances et de chroniques, et hanté des figures d'autrefois : Pierrot et Arlequin, le chevalier Melchior et les hidalgos espagnols y côtoient ondines, salamandres, sorcières du sabbat et alchimistes. Saluant en Bertrand l'inventeur d'une forme poétique nouvelle, Aragon écrivait : « Pour la première fois, le poète semble parler d'ailleurs, et longtemps je me suis demandé pourquoi. Je me suis peu à peu assuré que ce dépaysement de la voix vient du fait qu'alors l'auteur se tenait en un lieu nouveau, étrange, étranger : il était au seuil du poème en prose, d'un poème à l'état naissant. »