Le réel contemporain, celui des hyper-métropoles, est foisonnant
et complexe. Pourtant, c'est lui qui recèle les traces du destin de
la communauté, ce que nous inscrivons, dans le présent, de notreéventuel devenir. Le réel ne cache rien : la misère, les
conforts, le doute comme la crasse ou le rire, et les fenêtres.
Pour peu que ce réel soit en mouvement, gens qui montent,
descendent, agissent, parlent, et eux-mêmes emportés avec la ville,
géométries, noms, immeubles, défilant sur les vitres, alors c'est
une arme pour le retourner, ce réel invisible, comme un gant.
C'est
l'acte de violence de l'écrivain. Il nomme, il se saisit de la
vibration du visible et en fait langue. Alors nous sortons
renforcés, même si la détresse du réel est la même.
Sereine Berlottier a publié chez Fayard un livre étonnant et
angoissant, Nu précipité dans le vide (Lien -> http://remue.net/spip.php?article1243), marche
enquête vers le suicide de Gherasim Luca, avec archives et
bibliothèques, mais surtout travail sur la répercussion intérieure
de cette approche, l'ombre active et grandissante qui se fait en
vous-même dangereuse.
Elle a récemment publiéà La Rivière Echappée (collection
dirigée par François Rannou), remue.net (Lien -> http://www.remue.net).
J'ai toujours eu fascination (et cette mise en ligne pourrait
paradoxalement être dédiée à Julien Gracq) à comment l'outil
littérature pouvait inscrire du réel ne disposant pas encore de sa
propre représentation.
Lorsque j'ai écrit paysage Fer (Lien -> http://www.tierslivre.net/livres/paysfer.html), la ligne de train Paris-Nancy me
permettait une remontée vers mon propre temps, la province,
l'échelle des villes, le travail (métallurgie, mines) à son
origine. J'ai cette même fascination pour le paysage urbain, et ce
que Edward Hopper, par exemple, nous a appris pour sa saisie
cinétique. Récemment encore, sur le même trajet qu'explore, 1ère
moitié aller, 2ème moitié retour, le texte de Sereine Berlottier,
j'avais fait une série de photographies (Lien -> http://www.tierslivre.net/krnk/spip.php?article155).
Ce qui est fascinant, c'est comment la littérature, à condition
de se charger de l'expérience poétique, du dessin de la phrase,
peut aborder ces cinétiques, ces géométries, cet anonymat, et la
répétition des jours - aller-retour professionnel de Paris à
la bibliothèque d'une ville nouvelle, mais pas besoin d'en
parler, ce n'est pas évoqué dans le texte, et c'est écrit longtemps
après qu'on ne le fait plus, ce trajet...
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