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Dans la veine propre à la collection Le mot est faible, ce nouveau titre revient, sous l'angle du droit, sur l'histoire de la nationalité française inventée à la fin du xixe siècle et utilisée depuis pour fabriquer des étrangers et les soumettre à des régimes plus ou moins sévères et cruels suivant les besoins du marché du travail.
de définition univoque de l'étranger. Il se définissait par défaut comme
celui qui n'appartient pas à la communauté et il existait donc autant de
figures de l'étranger que de manières inventées par les humains de
former communauté. Ce flou entourant la notion d'étranger a aujourd'hui
disparu. L'État-nation s'est approprié le concept pour en dessiner les
contours au scalpel : l'étranger est celui qui n'a pas la nationalité de l'État
sur le territoire duquel il se trouve. Désormais attribuée de manière
certaine par l'effet du droit, la nationalité sépare irrémédiablement le
national et l'étranger pour soumettre ce dernier à un régime spécial,
arbitraire, plus ou moins sévère et cruel suivant les besoins de l'économie
et les considérations politiques du moment. Et lorsqu'on se penche sur la
condition des personnes étrangères en France, on observe un droit
ségrégationniste - ce qui semble largement admis - et un racisme
systémique de l'État et ses institutions, qu'elles nient avec un cynisme de
moins en moins feutré.
L'un des enjeux de l'ouvrage est de montrer que la catégorie d'étranger -
opposée à celle du national - n'a rien de naturel. En revenant sur la
fabrique de la nationalité française à la fin du xixe siècle, on comprend
qu'elle n'est pas un attribut de la personne humaine et que la qualité
d'étranger, définie en creux, l'a été depuis son origine par l'État à des fins
utilitaristes. Satisfaire le marché du travail et organiser la ségrégation des
candidates suivant leur origine, voilà les deux axes inconditionnels de la
politique migratoire française. Lorsque le besoin de main-d'oeuvre " peu
qualifiée " baisse dans la dernière partie du xxe siècle, la France puis
l'Europe tout entière cherchent à entraver l'arrivée de nouveaux
" migrants ", notamment grâce à des systèmes juridiques et policiers
toujours plus sophistiqués. Ces dispositifs de " gestion des flux " obligent
les personnes qui veulent gagner l'Europe à mettre leur vie en jeu et -
c'est un phénomène nouveau - elles sont des milliers à mourir chaque
année sur les routes de l'exil.
Si tout cela est possible, s'il existe des milliers d'agents étatiques pour
mettre quotidiennement en oeuvre ces politiques inégalitaires et féroces,
c'est qu'elles sont largement habillées par le droit. Le droit est en effet un
outil terriblement efficace : il confère à cet édifice macabre sa légitimité,
tandis que l'enchevêtrement des textes et l'abstraction des catégories
juridiques tiennent le réel à distance.