La religion se confondait autrefois si bien avec le fait social que personne ne songeait à la nommer ; quand ils la baptisèrent, les Romains l'envisagèrent... > Lire la suite
La religion se confondait autrefois si bien avec le fait social que personne ne songeait à la nommer ; quand ils la baptisèrent, les Romains l'envisagèrent comme un type de rapport au monde : Cicéron nous dit que « religion » vient de re-ligere, littéralement « relire ». C'est que la religion impose une halte à l'action spontanée qui use, consomme ou détruit ; elle exige qu'avant d'en jouir, les hommes laissent exister le monde, qu'ils gardent à l'esprit que le monde n'est pas eux, ni à eux. L'ère contemporaine, vouée à la production et à la consommation de richesses, passionnément occupée à réduire le monde à un ensemble de données numériques, se fonde sur un rapport au monde qui en est l'exact inverse : négligence (neg-ligere) plutôt que religion, liquidation plutôt que célébration. L'athéisme de la modernité en est-il comptable ? Pourtant, si elle ne s'explique pas par l'existence d'un dieu créateur, la réalité du monde ne devrait-elle pas sembler plus mystérieuse encore à l'athée qu'au croyant ? Il se pourrait même que l'athéisme moderne soit l'occasion de penser à nouveaux frais la religiosité : car sitôt que Dieu n'est pas posé comme existant, sa possibilité - ou son imminence - affleure authentiquement à chaque fois que le réel nous apparaît comme une énigme insoluble.