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Le désengagement de l'État durant ces dernières décennies s'est notamment traduit par une territorialisation croissante des politiques éducatives et par le passage progressif du témoin scolaire à la « société civile » et au Marché. Il a aussi et surtout conduit à ce que l'École et la Famille, comme instances de production et de reproduction des inégalités sociales, soient bien davantage connectées aujourd'hui qu'elles ne l'étaient hier. D'où la nécessité d'analyser ce surcroît de connexions au plus près du jeu des acteurs individuels et collectifs, en particulier à un niveau peu étudié mais décisif de l'enseignement : l'école primaire. C'est là en effet que s'effectue pour une large part le tri des « particules élèves » en fonction de leur rapidité d'acquisition des savoirs, et avant que ce tri ne se poursuive et soit confirmé au collège. C'est là aussi qu'on peut le mieux et le plus visiblement observer la mise en place et le développement de certaines chaînes mimétiques de placements scolaires. C'est l'analyse des mécanismes sous-jacents à la transformation de l'École laïque et publique en une École libérale qu'on trouvera donc dans l'ouvrage d'Yves Careil. Ce fonctionnement « libéral » donne l'avantage aux mieux placés et aux mieux informés, cependant que sont par avance disqualifiés ceux dont les conditions d'existence ne leur permettent pas de jouer à plein le rôle de « parents professionnels ». Dans un contexte de libéralisme économique déchaîné et de démantèlement des différentes composantes du Service public, une offre d'éducation concurrentielle s'introduit ainsi au sein même des établissements publics, sous couvert d'une dénégation collective dont l'auteur prend le risque, théorique et politique, de rompre le cercle enchanté. Il s'agit donc de constats effectués au plus près d'un terrain où les changements ont une portée bien différente de ce qui se donne à voir, et où les acteurs se trouvent, en pratique, placés devant de redoutables contradictions. L'analyse de cette situation conduit à un double plaidoyer : pour un profond renouvellement du regard porté sur l'« échec scolaire », et pour l'instauration d'un véritable débat, où l'avenir du système éducatif ne soit pas enfermé dans une problématisation libérale et (ou) néophilantropique.