La grande poésie veut donner un sens au monde, donc à l'Histoire, où l'aventure humaine se déploie à l'échelle de la terre. Mais comment lui en... > Lire la suite
La grande poésie veut donner un sens au monde, donc à l'Histoire, où l'aventure humaine se déploie à l'échelle de la terre. Mais comment lui en donner un, dès lors que le Dieu dé Bossuet ne tient plus « tous les fils de l'univers dans sa main » ? Alors l'épopée bute sur l'assassinat ; et le poète ne sait plus comment répondre à l'essence meurtrière de l'Histoire. Il essaie donc des cosmogonies de substitution au cour desquelles, toujours, un cadavre vient étouffer sa voix. Cette errance du poète moderne, ces pages voudraient l'illustrer à propos de Chateaubriand, exemplaire témoin. Mais à travers le nomadisme cosmogonique, en quelque sorte, de la parole poétique, c'est le problème de l'« engagement » qui se dévoile enfin, non plus seulement du point de vue des exigences propres à l'Histoire, mais de celles particulières à la grande création littéraire. Car un mythe poétique semble révéler ici son profond empire, celui d'Orphée. N'est-ce pas une manière de descente à l'Hadès du poète que cette recherche des ruines et des tombes, des cités évanouies et des déserts, ostensibles sépulcres où l'homme se complaît à son propre effacement ? Mais l'Eurydice que ce poète va chercher aux enfers pourrait bien n'être que le cadavre de l'Histoire elle-même. Quelle loi du sang, au cour de l'Histoire, empêche donc cette Eurydice-là de ressusciter ? « Poésie, connaissance orphique de la terre », dit Mallarmé. Si la haute poésie est donc aussi une résurrection, comment peut-elle s'accomplir lorsque le poète est épique, c'est-à-dire lorsque le meurtre lui saute à la face ? La réponse à cette question est peut-être dans une comparaison de la poésie de Chateaubriand avec celle, non moins épique, mais toute résurrectionnelle, de Saint-John Perse. Enfin, si la mort et la résurrection d'un dieu parlent au plus secret de la poésie, peut-être un lien pourrait-il se faire voir entre la poésie et le sacré, et nos civilisations elles-mêmes commencer de s'éclairer sur les pentes opposées qui descendent à la nuit ou remontent du tombeau.