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Que savons-nous de la chair quand nous ignorons si un savoir, jamais, en pourra prendre mesure ? Par le détour d'une interprétation de la phénoménologie de Husserl, préalable juridique de la philosophie moderne, il s'agit d'établir la nécessité historique et systématique d'une analytique de l'incarnation, d'en indiquer les charges.
L'expérience d'autrui est, dans l'ensemble de l'analyse constitutive, la région problématique la plus apte à faire ressortir l'importance de la chair et du corps. Les difficultés qu'y rencontre Husserl tirent leur origine du fait qu'une chair, ma chair, ne peut être donnée hors d'un accouplement avec une chair autre par lequel elle s'incorpore dans un espace homogène. Comme le donné intuitif, source de toute connaissance, doit être, Husserl le répète inlassablement, un donné incarné, c'est la phénoménologie dans son entier qui est préoccupée par la relation charnelle, jusque et y compris ce qu'elle tient pour son absolu : la temporalité.
La chair, propre et impropre, donne le temps. Elle n'en dérive donc pas, ce qui perturbe la critique de l'intentionnalité par laquelle Heidegger déplace le privilège de la conscience pour poser la question de l'être et préparer le passage de la philosophie à la pensée. L'analyse de la chair - cela même qui pense chez les hommes, selon Parménide - ne pourrait-elle ainsi contribuer à penser ce qu'est penser ? (D. F.)
Didier Franck (1947), philosophe, enseigne à l'École normale supérieure. En 1984, il fonde avec Pierre Guénancia la revue Philosophie, puis la collection aux Éditions de Minuit.