Au début de mon pèlerinage, on m'a souvent demandé ce qui m'était passé par la tête pour m'aventurer sur le chemin de Compostelle au coeur de l'automne. Tout en soulignant au passage que je n'y gagnais rien : les refuges seraient fermés, il ferait diablement froid et je n'y rencontrerais personne. On eut même le culot de me rafraîchir la mémoire avec l'histoire des Pyrénées enneigées et son cortège d'humains perdus...
De quoi m'arrêter dans ma folle entreprise ! Mais, c'était oublier que le pèlerin obéit à des lois qui n'ont rien de rationnel. Un pèlerin part lorsque quelque chose le pousse à partir et qu'il ne voit aucune autre possibilité. Il se moque comme d'une guigne du calendrier ou des commérages. Il part, un point c'est tout.
Je suis partie un 4 novembre, un point c'est tout. J'ai traversé l'automne, l'hiver, et je ne regrette rien.
Oui, c'est vrai, les Pyrénées étaient blanches et je me suis perdue.
Car la neige avait recouvert toutes les balises. Un véritable casse-tête... J'ai eu peur, j'ai eu froid, mais je ne regrette rien. J'ai finalement trouvé ma route.
Oui, c'est vrai, presque tous les refuges étaient fermés. J'ai eu peur, j'ai eu froid, très froid, mais je ne regrette rien. J'ai dormi dans des endroits improbables : chapelle, garage, théâtre... Il y avait toujours des portes qui s'ouvraient.
De la véritable magie.
Oui, c'est vrai, il a fait très froid. Il a grêlé, il a neigé. Un peu, et même parfois beaucoup. Dans les Pyrénées, sur le Cebreiro, dans les plaines arides du nord de l'Espagne... Noël en continu. J'ai eu froid, mais je ne regrette rien. Il y avait toujours quelqu'un pour réchauffer le corps et le cour.
Oui, c'est vrai, il n'y avait personne. Mais pour embellir son monde, il ne suffit pas d'une tripotée de gens.
Un seul ami peut égayer vos journées. Des amis, il y en avait. Il y eut d'abord mon bourdon pour qui je me pris d'affection et qui ne me quittait jamais. Il y eut mon inestimable Patricia qui venait à pied de Belgique, toute seule. Celle que je rencontrai un jour où je n'attendais plus personne, celle qui partagea mon chemin jusqu'au bout. Une amie pour la vie. Il y eut Ben Hur, l'énigmatique et drôle de brésilien qui possédait un passeport de templier...
Un ami pour la vie aussi. Il y eut des compagnons de route à 4 pattes. Le temps d'une étape. Qui les guidait ? Qu'est-ce qui les motivait ? Sûrement pas le contenu de ma besace, maigre pitance, qui ne semblait pas les intéresser.
Oui, tout ça, c'est vrai. Et ils oublièrent de me parler des grands moments de solitude qui me donnèrent à réfléchir, des souffrances physiques qui me freinèrent dans mon élan, des attaques que je dus affronter.
Des dents canines acérées par exemple.
Ils oublièrent aussi de me parler du merveilleux qui se manifesta à tout-va sur le chemin, comme si tous mes désirs les plus secrets avaient été entendus. Mais par qui ? Par quoi ?
Tout cela ne fut pas un rêve. Parfois avec le temps qui passe, j'ai l'impression que mon imagination féconde arrondit les angles, ou bien que j'ai vécu dans une autre dimension.
Pourtant, elles sont là. Les photos, témoignage de ce pan de mon histoire. Aussi palpables que le fut ma réalité du chemin de Saint-Jacques.
Alors, je vous le dis : n'hésitez pas, n'hésitez plus. Pas à pas, on va toujours très loin.
Suivez-moi dans mon aventure.
Ou encore mieux. Et si vous suiviez votre propre chemin ?