Il n'est pas indispensable de porter l'uniforme pour se prévaloir de blessures de guerre. À six ans, Drieu est un vieux poilu mais il l'ignore. Les... > Lire la suite
Il n'est pas indispensable de porter l'uniforme pour se prévaloir de blessures de guerre. À six ans, Drieu est un vieux poilu mais il l'ignore. Les familles ont de ces tranchées dont on ressort le plus souvent mutilé, le cour mauvais. L'histoire de la France de l'entre-deux-guerres se confond avec cette famille. À quarante ans, Drieu est un salaud, mais il l'ignore. Représenter Drieu au théâtre : cela ne relève-t-il pas de la gageure, d'une provocation dangereuse ? D'abord parce que c'est Drieu l'antisémite, Drieu le collabo, Drieu le falsificateur. Ensuite, parce que raconter la vie d'un salaud peut faire penser que l'on a quelque admiration pour le héros - ou l'anti-héros - de la pièce. Enfin, par son ambivalence incessante, Drieu est troublant et se rapproche dangereusement de ce que nous sommes, de notre fragilité à saisir le temps et l'Histoire, même si nous nous asseyons confortablement sur cinquante ans de commémorations. « Ce salaud de D. » est sans doute une vision fragmentée, éclairée sous un angle curieux, celui de la mémoire. Depuis combien de temps est-il dans cet hôpital ? Quelques jours, des années, toute une vie ? Et cette femme qui le soigne, qui borde son lit, que veut-elle ? Elle est peut-être sa mère, sa femme ou sa maîtresse, ou bien encore la fille d'un bordel ? Il demandera à Aragon. Le personnage est malmené, théâtralisé, tout parcouru de soubresauts qui lui permettent d'avancer à travers les années 1918, puis 1934 et jusqu'à la fin de sa vie. Il écrit : « ... les amis juifs que je gardais sont mis en prison ou sont en fuite. Je m'occupe d'eux et leur rends service. Je ne vois aucune contradiction à cela. Ou plutôt, la contradiction des sentiments personnels et des idées générales est le principe même de toute humanité. » « Ce salaud de D. » est une pièce à trois personnages : Otto Abetz, une infirmière, et Drieu lui-même sur un lit d'hôpital. En 1945, la guerre est finie. Drieu sait alors que le cynisme, son ultime recours, est épuisé. Il ne regrettera que les arbres. Il a tant aimé les arbres.