On n'évacue jamais la question du rapport du texte aux images, quand bien même on y revient, on la pratique. Peut-être est-ce même au fond la seule... > Lire la suite
On n'évacue jamais la question du rapport du texte aux images, quand bien même on y revient, on la pratique. Peut-être est-ce même au fond la seule question : quelles images lève un texte ? Quelle forme de récit s'esquisse au-dedans, par-dessus, à travers les images ? Comment s'accordent en un livre qui les met en présence, c'est-à-dire dans notre expérience même du monde, ces deux régimes du lisible et du visible, ces deux temps du récit et de la présence ?
Sous le pont, dans les ombres, les bois gluants du bord de l'eau, l'horizon bascule, s'affole comme on le dirait d'une boussole. Les temps, les figures se confondent, se superposent ou se corrompent à la faveur d'une angoisse insidieuse.
Au canal est un texte de vertige, de folie qui tient du rêve et du délire. Un texte qui joue du basculement, du déséquilibre et emporte avec lui ce qui fait le monde coutumier pour le désétablir ou le restituer à son vertige le plus profond, sa précarité la plus inquiète. Car toujours quelque chose appelle dans les angles morts, dans l'indéfini des marges. Tout le long, d'un tableau à l'autre, le canal s'impose comme le personnage central, inhumain ou informe s'insinuant dans les êtres. Territoire familier et angoissant, redouté et insistant comme ces puits que l'on porte au-dedans, ces appels du chaos, il n'est pas sans évoquer la Zone de Stalker, filmée par Tarkovski dans son vertige géographique, dans la tension dramatique qui en dessine l'espace. Il devient une obsession, le lieu de ce qui réclame et qui n'est jamais dit.
Les images de Frédéric Khodja n'illustrent pas le texte de Marie-Laure Hurault en se donnant à lire. Elles ne racontent pas. Elles n'anticipent pas une description que l'on va lire et elles ne sont pas la confirmation imagée à posteriori des situations que le texte nous invite à nous figurer. Enigmatiques pour celui qui en attendait autre chose, elles s'invitent davantage comme sensations, comme éléments de trouble, rejouant sous leur mode propre le déséquilibre par lequel la fiction se met en marche, comme autant de trouées, autant de figures. Images narratives et images visuelles, dans une proximité d'esprit dévoilent leur abîme, leur vertige, les capacités qui sont les leurs de se tordre, s'inverser, se creuser pour concourir à l'expression d'une vérité convulsive.
Jérémy Liron
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