Nous cheminions lentement dans le noir à travers les rocs et les pierres. Parfois nous redescendions vers la mer, on voyait la blancheur qu'elle jetait... > Lire la suite
Nous cheminions lentement dans le noir à travers les rocs et les pierres. Parfois nous redescendions vers la mer, on voyait la blancheur qu'elle jetait sur les bords. J'ai pensé que quand Gaspard nous aurait conduits, il retournerait à son abri et il pourrait dire aux chasseurs : Orner, fils de Noémie, n'est pas revenu au bas de la Rouge. Et Agathe et moi nous attendrions ensemble la nuit où j'irais prendre le secret de la naissance du feu. Alors j'ai pensé à ce qui viendrait après et j'ai dit tout haut : Agathe mais le vent a emporté ma voix comme une plume. Aussitôt j'ai lancé fortement ma parole vers elle comme une pierre : Agathe !, et elle s'est arrêtée. Je n'ai plus bougé, elle s'est retournée. Je pouvais à peine voir son visage. Je me suis approché d'elle comme sur le chemin de la maison de Virginie le premier jour et j'ai mis ma bouche sur ses cheveux. Je sentais son corps contre le mien, du ventre aux genoux que je pliais un peu, mais mon bras accroché à mon cou nous séparait dans le haut. La chaleur de mon souffle se répandait dans ses cheveux et revenait en m'apportant son odeur à elle. J'ai dit tout bas : Nous irons au Paradis. Je n'y pensais pas, je n'avais pas envie d'aller au Paradis où viennent les chasseurs. L'odeur que je respirais était comme une fumée qui venait de très loin. Les genoux d'Agathe se sont appuyés fort contre les miens, elle a relevé son visage sous ma bouche qui a suivi son front et son nez jusqu'à sa bouche et j'ai vu dans ses yeux tout proches une lueur comme celle de l'eau quand on nage. J'ai dit : Plus loin que le Paradis. J'ai pensé au courant du Bioula qui porte vers le nord, vers les îles où les chasseurs et les pêcheurs de la Sassière ne vont jamais, vers le Blanc d'où personne ne peut revenir. Agathe n'a rien dit, j'ai senti sa poitrine contre le dos de ma main, j'ai bougé les doigts, elle s'est penchée un peu, et à travers la chair j'ai reçu le frappement fort de son cour.