Guillaume Apollinaire naît l'année même où meurt Flaubert et rédigera ses premiers écrits le regard tourné vers le dix-neuvième siècle. Pourtant... > Lire la suite
Guillaume Apollinaire naît l'année même où meurt Flaubert et rédigera ses premiers écrits le regard tourné vers le dix-neuvième siècle. Pourtant l'image qu'on retient de lui est celle d'un être de la rupture, d'un innovateur peu enclin aux compromis. Il existe cependant un autre Apollinaire : non pas le poète d'Alcools ou de Calligrammes, ni même le pornographe occasionnel à l'abri de ses initiales, mais le conteur de L'Hérésiarque & Cie (1910), dont l'esthétique puise pour l'essentiel dans l'ouvre aujourd'hui trop peu connue de Marcel Schwob, qui contient elle-même une lecture savante des contes de Flaubert et de Maupassant. Le premier geste de l'hérétique n'est-il pas de revenir aux sources en proposant des Écritures une interprétation jusqu'alors inédite, voire irrecevable ou simplement scandaleuse ? Sous cette prose en apparence lisse, les excréments sont étalés au grand jour, les pires obscénités déferlent sur nous. Cependant, il n'est rien d'étonnant à ce que ce registre affleure dès lors que la langue se souvient - digestivement, s'entend : car lire déjà c'était dévorer, l'auteur se nourrissant des mots d'autrui. Avec Le Poète assassiné, son second recueil, nous découvrons une langue toujours hérissée de gros mots, en laquelle grondent des borborygmes, au milieu d'irrévérencieux lâchages de vents. La machine à conter fonctionne à présent à vide, Apollinaire ne faisant en somme que réécrire son précédent volume, en le délestant il est vrai des allusions à autrui : l'auteur apollinarise. Car un auteur ne vient jamais seul : c'en sont toujours deux, trois qui se pressent à la fois, se bousculent, se frayent un passage. On cherchera donc aussi à suivre Apollinaire dans la compagnie d'auteurs qui loin de l'avoir précédé lui sont résolument contemporains : tel Blaise Cendrars qui n'ayant cessé d'agir en rival viendra curieusement, en dépit des allégations mensongères et des prises de bec répétées, à son tour s'alimenter aux contes de L'Hérésiarque, pour, dans une ultime reprise, réussir leur effacement.