À Carpaccio : récit d'été

Ce récit glauque et mordoré, que bientôt la mer lavera de ses couleurs, raconte une quête fatale. Un homme, une femme, un androgyne : dérisoire messie à trois têtes, ont débarqué d'aventure sur une île aux splendeurs croulantes. Les somptueuses architectures de la ville et leurs occupants, radieuses et imperturbables marionnettes, ont la beauté immortalisée des toiles de Carpaccio. À force d'attention exaspérée dans leur errance, notre trinité à visage humain découvrira, mais à son détriment, l'envers du tableau dont elle est, sans le savoir, le personnage clef.
Le sacrifice salvateur se déroulera donc mais inutile, car le rachat n'aura pas lieu et la cité fissurée qui connut grâce et opulence, devenue désormais ville mensonge, sombrera dans les flots qui la grignotaient déjà. Flamboyante et douloureuse vision que la lente autodestruction de cet univers clos, figé sous le fard de ses croyances usées, vidées de leur chair et transformées en vains rites, dans son réseau de lois absurdes régies par un Pouvoir invisible.
Reflets vibrants d'une société décadente, irresponsable, cannibale pour oublier qu'elle a perdu sa force de vie et préfère l'illusion qu'elle se donne. Qu'il révèle un profond scepticisme, un sens prémonitoire ou soit l'aveu retourné d'un incoercible espoir, ce livre fiction, d'une poésie étrange, a la violence d'un cri étouffé.