Dès la libération des camps nazis furent publiés de nombreux textes de rescapés, au point de provoquer une certaine lassitude des lecteurs. Même s'il est assurément d'autres causes à ce phénomène, ces textes ne tardèrent pas à se trouver soit proprement occultés, soit relégués au statut confus de " témoignages ", ce qui autorisait à en circonscrire l'effet dans l'éphémère de l'événement et à les exclure du champ littéraire. Un Primo Levi ne fut reconnu que tardivement. Et pourtant la question du témoignage, de sa légitimité, de sa possibilité même n'a cessé de susciter de vifs débats. La littérature y a très tôt répondu à sa manière, avec des œuvres qui comptent parmi les plus fortes du XXe siècle. Peut-être même était-ce là la seule réponse légitime : un Georges Perec, dès 1963, exposait clairement que la question du témoignage ne pouvait être qu'une question littéraire - et en même temps qu'elle engageait toute la littérature. C'est pourquoi l'approche adoptée dans ce volume se veut d'abord, et en son abord, littéraire. Partant de la conviction de la littérature d'après 1945 ne pouvait être qu'une littérature d'après les camps, que l'expérience des camps a produit une littérature du XXe siècle, il s'agissait de relire Robert Antelme, David Rousset, Jean Cayrol, Primo Levi, Jean Améry, Jorge Semprun, Varlam Chalamov... dans cette perspective. Quelles pratiques d'écriture spécifiques ces œuvres engagent-elles ? Comment s'éclairent-elles d'être lues selon des modalités relevant de l'analyse littéraire actuelle ? Comment nous incitent-elles, enfin, à revenir sur la question même de la littérature, de la littérature contemporaine, qu'elle avoue ou non sa dette à l'égard de ces textes particuliers, tous portés par une sorte d'urgence, de tension, par un enjeu qui n'échappe pas au lecteur - et auquel on ne souhaite pas qu'il échappe.