Dix ans après sa disparition, Marguerite Duras semble avoir acquis son droit d'entrée au panthéon des écrivains reconnus. Oubliés alors les jugements condescendants et réducteurs (Marguerite et sa " petite musique "), l'agacement poli, le rejet de plus en plus violent qu'elle suscita à partir des années soixante-dix ? Il est permis d'en douter. En dépit de son apparente reconnaissance institutionnelle, il n'est pas sûr que l'œuvre ne continue pas à susciter de fortes résistances. Marguerite Duras constituerait ainsi un cas paradoxal (mais, somme toute, non isolé), celui d'un écrivain tout à la fois reconnu et dénié. Que lui reprochait-on, que lui reproche-t-on toujours, fût-ce à voix plus basse ? Pêle-mêle : une œuvre absconse réservée à quelques initiés (ses. films, quelques-uns de ses livres), une couvre cédant à la facilité, séduisant le " grand public ", produite trop vite, répétitive (ses films, quelques-uns de ses livres), le succès inattendu et " planétaire " de L'Amant, des jugements aussi péremptoires qu'intempestifs (" sublime, forcément sublime... "), des prises de position politiques plus viscérales que construites, un contentement de soi complaisamment exhibé, un sentimentalisme exacerbé qu'on ne pardonne plus qu'aux adolescentes... Ce que beaucoup ne virent pas et qui commence à être mieux perçu, avec le recul des années, serait tout simplement ceci la force d'une entreprise littéraire qui lui permit de cultiver une sortie de soi conçue comme un art poétique. Le masque protecteur d'un ego hypertrophié, cette statue d'elle-même qu'elle édifia de son vivant n'étaient que l'envers de la dépersonnalisation que nécessitait pour elle l'acte d'écrire.